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Dossier: Migration : Afrique-Europe, le vaste malentendu

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Les derniers chiffres du mois septembre 2016 : 300.000 migrants et réfugiés ont traversé la Méditerranée pour se rendre en Europe. 60% de ceux qui débarquent en Italie proviennent du continent africain. Quelle solution pour l’avenir ? L’Europe a décrété une lutte sans merci contre les passeurs alors que l’Afrique, elle, compte plutôt sur les engagements de coopération économique pour éviter l’émigration de sa force vive.
Dossier: Migration : Afrique-Europe, le vaste malentendu
Drame en Méditerranée : depuis le début du mois octobre, et en seulement quelques jours, plus de 11.000 personnes ont été secourues par des gardes-côtes italiens ou libyens et plusieurs navires affrétés par des ONG. Flux intarissables et amplifiés par plusieurs faits : d’abord, la fermeture de la route du Balkans à partir de la Grèce ; ensuite, les accords relatifs - à la création de camps - signés entre l’Union Européenne et la Turquie et enfin, les dernières semaines favorables à la traversées avant l’arrivée de l’hiver. Sur l’axe Libye-Italie, le ministère de l’Intérieur italien prévoit une hausse de 5,15% de flux par rapport à l’année dernière : 146.000 migrants pour l’ensemble en 2015 et déjà 128.000 en septembre de cette année.
En cinq ans, la guerre en Syrie a poussé des millions de réfugiés dans les pays voisins et même plus loin. Les syriens et les afghans convergent maintenant vers la Libye puisque la Turquie ne permet plus l’accès à l’Europe. Le président Recep Tayyip Erdogan a en effet directement négocié les détails de l’accord avec la chancelière Angela Merkel. Ainsi la Turquie accepte de contenir les flots incessants de réfugiés en contrepartie de moyens logistiques et financiers (6 milliards d’€uros) octroyés par les pays européens et accessoirement une exemption de visas d’entrée pour les ressortissants turcs.
 
La Libye, ultime escale avant Lampedusa
Quant à la Libye, elle a toujours été depuis plus de deux décennies – à l’époque du colonel Kadhafi – une plaque tournante de l’immigration du continent africain. Désormais, les voies de passage par l’Atlantique ou la mer Rouge et le Yémen ne sont plus fréquentables ; c’est une des raisons pour laquelle une forte concentration de migrants attendent en face de l’Italie pour gagner l’eldorado européen. Les candidats à l’exil arrivent essentiellement par deux provenances : la corne de l’Afrique et la région subsaharienne. Les premiers quittent leur terre natale à cause de la dictature et des conflits. Il s’agit pour la plupart de somaliens, d’érythréens, de soudanais et d’éthiopiens ;
 Tandis que ceux qui arrivent de l’Ouest partent surtout pour fuir la misère. La route de l’Est est aujourd’hui devenue très dangereuse. En effet, l’intensification de la guerre civile au Yémen a freiné les traversées du golfe d’Aden pour rejoindre l’Arabie Saoudite. En outre, la remontée vers la mer Rouge pour gagner Israël est tout aussi périlleuse depuis que les bédouins du désert de Sinaï se sont reconvertis dans le métier de passeurs. Les migrants sont quasiment pris en otage ou maltraités par leurs geôliers et ne doivent souvent leur salut que lorsque les familles restées au pays – contactées par téléphone – payent une rançon. La route de l’Ouest c’est-à-dire les Açores ou celle qui remonte vers l’Algérie et le Maroc est maintenant verrouillée. Les patrouilles des gardes-côtes espagnoles et portugaises ainsi que les accords passés entre l’Espagne et les pays d’Afrique de l’Ouest plus ceux du Maghreb ont asséché les flux de l’émigration vers le détroit de Gibraltar. La Libye est donc devenue le seul point de convergence de migrants de l’Ouest déroutés vers le désert du Sahara et ceux venus de l’Est qui passent désormais par le Tchad ou le Soudan. 
 

Dossier: Migration : Afrique-Europe, le vaste malentendu
Martin Kobler l’émissaire de l’ONU déclara en début d’année qu’il y avait environ 235.000 migrants en Libye, prêts à passer en Europe. Les autorités libyennes ne sont plus en mesure de lutter contre les migrants clandestins sans l’aide de l’UE. Les centres de rétention sont débordés à un point tel que le zoo de Tripoli – vidé de ses pensionnaires depuis la chute du Guide - a été réquisitionné pour accueillir ceux qui n’ont pas pu embarquer, faute d’argent ou ayant été maltraités par les passeurs. A l’instar des accords passés avec la Turquie, l’UE a proposé aux autorités libyennes la création de plusieurs hotspots : la construction de camps de réfugiés financés par l’UE et destinés à recevoir les migrants qui ont été renvoyés d’Europe en cas de refus de leur demande d’asile. Fin de non-recevoir côté libyen !
 
La chute du colonel Kadhafi a engendré une instabilité indescriptible si bien qu’aujourd’hui aucune autorité ne peut se prévaloir d’exercer une pleine souveraineté sur l’ensemble du territoire. La Libye est aussi dirigée par deux gouvernements, l’un à Tripoli, l’autre à Tobrouk. Ce chaos est devenu un terreau favorable à toute sorte de trafics, ressources indispensables pour la guerre civile mais plus prosaïquement une activité très lucrative pour les réseaux criminels. La région du Fezzan - avec ses 3.000 km de frontières - est devenue l’objet de convoitises de plusieurs tribus nomades rivales : les touaregs et les toubous. De par sa position géographique, elle est la porte d’entrée en Libye par le Sud en remontant du désert du Sahara qui plus est limitrophe avec l’Algérie, le Niger et le Tchad. Un vaste no man’s land tellement reculé que l’Etat ou l’administration n’existe plus depuis maintenant plus de  cinq ans. Les touaregs et les toubous règnent en maître. Ils se sont partagé les gisements d’hydrocarbures avec lesquels ils tirent l’essentiel de leurs revenus. Leurs milices ont également pris le contrôle de zones de passage millénaire du désert du Sahara et font alors office d’octrois : prélèvement de droits et taxes sur les produits (pétrole, armes ou drogues) ; sécurisation des convois de marchandises ou de migrants qui remontent vers le Nord.
 
L’axe Dirkou-Sebha
Sebha est la capitale de la province méridionale du Fezzan. Elle est devenue une pétaudière à cause des rivalités ethniques : les Ouled Slimane et les Kadhadfas (la tribu de la famille de Kadhafi), les Magarhas et les toubous (tribu noire à cheval sur le Tchad, la Libye et le Niger). Sans perspective d’avenir et livrée à elle-même, Sebha vit de contrebande avec les voisins du Sud (Tchad et Niger). A ce titre, elle est la ville-étape et d’entrée des migrants en provenance de Dirkou (Niger). La parfaite connaissance du désert confère aux toubous le monopole du trafic sur cet axe. Ils savent contourner les postes-frontières et les check-points même si, ils doivent faire un détour pour remonter les migrants de Dirkou vers Gatrone. Cette dernière est la ville la plus méridionale de la Libye ; avec une concentration formidable de véhicules 4x4 au km². Le transport de clandestin reste une activité dangereuse mais très lucrative. Il y a le risque de tomber en panne ou de croiser des coupeurs de route ; en contrepartie, un voyage avec une trentaine de passagers peut rapporter entre 12 et 15.000 $. Les groupes mafieux, eux, ne font pas dans la dentelle. Ils ont mis les moyens et la logistique afin de pouvoir proposer carrément un package c’est-à-dire acheminement jusqu’au bord de la Méditerranée, traversée vers l’Italie et choix de pays d’accueil en Europe. Pour cela, il faudra aux candidats débourser la coquette somme de 3.000 $ environ. Et le trajet Dirkou-Sebha se fait alors en camion capable de transporter 160 passagers ou des 4x4 aménagés pouvant accueillir une trentaine de personnes. Côté transport maritime, on est passé des petits rafiots au bateau-poubelle sur lesquels on peut aisément charger plus de 500 personnes. Cette « industrialisation » du trafic, aujourd’hui, provoque les drames en Méditerranée ; c’est-à-dire des noyades de plusieurs centaines de personnes qui défrayent de temps en temps les chroniques.
Ce qui semble surprenant c’est que le lieu de passage des narcotrafiquants, des convois de migrants [et pourquoi pas des terroristes !] passe à proximité de Madama, ancien fortin réinvesti - depuis maintenant deux ans – par les militaires français de l’opération « Barkhane ». Il est situé aux confins septentrionaux du Niger à quelques 100 km de la frontière libyenne.
 
La face cachée de la gestion des flux migratoires
Aujourd’hui, la lutte contre les réseaux criminels focalise l’attention des autorités européennes ; comme si le fait de sévir contre les passeurs résoudraient définitivement le problème des migrants ! Une étude de Migreurop mérite une attention particulière sur l’économie que pourrait engendrer la « gestion des flux migratoires et d’asile ». Très peu d’informations existent sur les profits de certaines industries qui fournissent le matériel de surveillance des frontières, les sous-traitants ou les prestataires de service (gardiennage, repas, nettoyage), les hébergements ou encore les transports des réfugiés. Au Sud de l’Italie et plus particulièrement en Sicile, la mafia a déjà discrètement préempté le créneau des centres d’hébergement à grande échelle grâce aux subventions octroyées par le gouvernement ou l’Europe. Un rapport d’une commission parlementaire du Sénat français s’est penché sur le sujet, il y a trois ans. Ils sont arrivés à une estimation globale du coût de rétention administrative de l’ordre de 200 millions d’€uros. Toutefois, d’après toujours le rapport, « l'ensemble de la politique de gestion et de maîtrise des flux migratoires devait s'inscrire plutôt dans une logique d'environ 450 à 500 millions d'€uros ».
A l’échelle des 28 pays membres de l’Europe, cette gestion de la politique migratoire nécessite de débloquer des dizaines de milliards d’€uros. Il faut mettre cette somme en perspective au regard de l’engagement de l’Union Européenne pour l’aide au développement dans les pays ACP : 30 milliards d’€uros pour la période 2014-2020. Il est de plus en plus question aujourd’hui de créer un fonds pour l’Afrique afin de lutter contre les causes de l’émigration.

Dossier: Migration : Afrique-Europe, le vaste malentendu
En septembre 2015, le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker a déclaré « vouloir aider à ramener durablement la stabilité, par exemple en créant des possibilités d'emploi dans les communautés locales, et ainsi résoudre les causes profondes de l'instabilité, des déplacements forcés et de la migration clandestine ». Pour cela, la Commission a promis de mettre en place un fonds de 1,8 milliards d’€uros. Les pays prioritaires seront ceux de la région du Sahel, du lac Tchad, de la corne de l’Afrique. Ce fonds fiduciaire devrait être normalement porté à 3,6 milliards d’€uros, grâce aux allocations des Etats membres. Les députés européens n’ont, à ce jour, contribué qu’à hauteur de 82 millions d’€uros ! 

Alex ZAKA
Paru dans le Diasporas-News n°78 Octobre 2016

 


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