L’accès durable à l’eau potable est-elle cruciale à ce point ? Faites vous-même l’expérience de vous en passer pendant 24 heures ! A la fois élément vital et facteur de production pour l’industrie ainsi que l’agriculture ; raison pour laquelle plusieurs pays d’Afrique décrète son accès comme un droit fondamental.
L’AFWA (Association Africaine de l’Eau) a tenu son XVIIIème Congrès au Kenyatta International Conference Center (KICC) de Nairobi le 21 au 25 février dernier. Un évènement biennal qui prend de plus en plus d’ampleurs avec, encore cette fois-ci, plus de 1.500 participants venus des cinq continents. Rendez-vous devenu incontournable pour les acteurs de l’eau, ce symposium est un lieu d’échanges, de réflexion et de mutualisation des expériences pour tous les professionnels et les protagonistes du secteur : régies nationales, entreprises privées, institutions, bailleurs de fond. Parallèlement, une exposition s’est tenue sur le même lieu ; une occasion pour les professionnels du secteur de présenter des solutions innovantes, de nouer des contacts à moindre de frais plutôt que de mener des prospections en sillonnant le continent africain.
Pour le président de la République Uhuru Kenyatta, dans son allocution lors de la cérémonie inaugurale, « l’eau est un droit absolu pour chaque habitant » en référence à l’article 43 de la Constitution. Il a également mis l’accent sur le rapport de l’OMS sur le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable : 700 millions environ ! Plus spécifiquement, il a pointé du doigt le risque de conflit que pourrait engendrer le problème de partage d’eau dans la corne de l’Afrique. Et enfin pour le Kenya, une zone semi-aride encore traumatisé par la sécheresse de 2009, le chef de l’Etat kenyan fait sienne de la Vision Kenya 2030 c’est-à-dire « l’accès et l’assainissement pour toute la population » ; dont seulement 56% en est aujourd’hui pourvue. Il a encore tenu à souligner « que le Kenya a toujours soutenu les initiatives des plusieurs organisations et institutions ayant trait au développement durable et à la gestion intégrée » ; d’où son soutien et sa présence pour l’ouverture du colloque de l’AAE.
L’eau est sans aucun doute la ressource la plus abondante de notre planète. La Terre est recouverte d’eau à 70%. Et pourtant, « toutes les 12 secondes un enfant meurt dans le monde pour cause de stress hydrique » ; un chiffre-choc livré par le président de l’AAE le Pr. Hamanth Kasan. A l’orée du XXIème siècle, « plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau salubre, et 2,4 milliards ne disposent ni de toilettes et encore moins d'évacuation des eaux usées ». L’accès durable à l’eau potable et l’assainissement sont des besoins vitaux. Cette problématique ne devrait-elle pas être le sujet de préoccupation majeure devant le changement climatique et les phénomènes migratoires ? Elle figurait d’ailleurs en Objectif n°7 du fameux Objectif Du Millénaire (OMD) – réduire la pauvreté de 50% à l’horizon 2015 - engagé par les Nations-Unies et approuvé par 189 pays. Ce grand défi planétaire supposait que chaque jour, 100.000 nouveaux habitants devaient être raccordés à un réseau d’eau. Aujourd’hui, cette fourniture d’eau au plus grand nombre figure encore en position n°6 de l’Objectif de Développement Durable (ODD) 2030 ; lequel a pris le relais du feu OMD. Afin de réaliser cet objectif, il faudrait consentir environ 10 milliards US$ par an d’investissement ; soit l’équivalent d’une semaine de dépenses militaires dans le monde ! En d’autres termes, il faut actuellement multiplier les rythmes d’investissement par trois pour l’eau potable et par quatre pour l’assainissement.
Tel un travail de Sisyphe, la tâche paraît insurmontable malgré l’effort conjugué de tous les acteurs (Etats, institutions, bailleurs de fonds, équipementiers, régies de distribution, techniciens, ONG…). Seuls la moitié des 53 pays africains peuvent se prévaloir d’avoir atteint l’objectif de 50% de population ayant accès à l’eau potable. Plusieurs raisons à cela : d’abord, les réservoirs en eau du continent sont inégalement répartis ; plus de 40% de la population vit dans une région aride ou semi-aride. Ensuite, il faut également tenir compte de l’impact du changement climatique qui apporte des crues énormes dans certaines régions ou la sécheresse dans d’autres ; si bien que les femmes en milieu rural sont obligées de parcourir plusieurs kilomètres pour trouver un point d’eau. Et enfin, une croissance démographique de 3% par an induit de facto une hausse exponentielle de la demande. Le constat est alarmant dans les zones périurbaines des mégalopoles congestionnées par l’exode rurale : d’abord parce que leur capacité des réseaux d’adduction d’eau est largement insuffisante et souvent détournée par les resquilleurs. Ensuite, ces raccordements sauvages sont préjudiciables aux régies de distribution pour cause d’eau non-facturée. Enfin, le traitement d’eaux usées est quasi-inexistant. Ce manque d’équipements collectifs provoque des conséquences sanitaires comme la mortalité infantile et d’autres épidémies à retardement.
L’eau, c’est la vie ! Y avoir accès est mis en avant par les Etats comme un droit fondamental comme d’autres services publics tels que la santé, l’éducation, l’électricité. Or, la problématique de l’eau et de l’assainissement intègre également une dimension technique, sociopolitique, économique, environnementale et même culturelle. Gabriel NEGATU le directeur de la BAD « région Est » confesse avec une certaine commisération que son établissement a engagé 4 milliards US$ dans le secteur. Et cela conformément à la stratégie décennale lancée en 2012 qui inclut la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’emploi des femmes et des jeunes. Malheureusement, selon ce banquier « les ressources financières sont limitées et la problématique de l’accès l’eau se heurte à l’arbitrage d’autres priorités que sont l’électricité, les routes et même l’agriculture ». Cette dernière représente aujourd’hui plus 80% des prélèvements en eau du continent ; 14% pour les collectivités et le reliquat pour l’industrie. L’eau, à la fois un besoin essentiel et facteurs de production au même titre que l’électricité. Le coût d’une irrigation est le double de la fourniture d’eau à la population. La production d’un (1) litre de la fameuse bière locale kenyane requiert 6 litres d’eau ; mais si on intègre l’électricité et l’approvisionnement des intrants, ce dernier chiffre avoisinerait les 10.000 litres d’eau !
Il n’existe aucun Etat au monde qui ne subventionne la fourniture d’eau potable à sa population et à fortiori dans les pays riches ou seulement dans les quartiers raccordés en Afrique. Et malheureusement ceux qui sont exclus du réseau restent à la merci de commerçants peu scrupuleux et le paient très chers. Lorsqu’on a le privilège d’avoir de l’eau du robinet 24h sur 24 et 7 jours 7, on a peine à imaginer les difficultés engendrées pour obtenir le minimum vital. De par sa dimension sociopolitique, le secteur de l’eau reste dans le giron étatique malgré quelques instillations de privatisation. L’Etat accorde généralement une délégation de services publics à une régie nationale pour la fourniture d’eau à la population. Celle-ci peut prendre la forme de contrat de concession ou d’affermage, de privatisation avec une agence de régulation, de sociétés mixtes ou Partenariat Public-Privé (PPP).
Face à ce problème structurel de l’accès durable à l’eau, des choix cornéliens s’imposent aux Etats : établir progressivement un modèle d’économie de l’eau, efficient et rentable, dans les zones urbaines où existe une demande potentielle solvable. Question : l’arrivée d’opérateurs privés internationaux ne va-t-elle pas asphyxiée les régies historiques ou les reléguer vers les marchés de seconde zone ? Car la maîtrise de la production, du transport, de la distribution, du traitement de l’eau c’est-à-dire l’intégration totale de la filière exige d’énormes investissements. Cependant, cette implication des capitaux étrangers (compagnies d’assurance, fonds de pension, multinationales de l’eau…), comme le souhaitent les bailleurs de fonds, se heurtent souvent à la particularité de ce marché : la stabilité politique pour la sécurisation des capitaux sur le long terme c’est-à-dire 15 voire 20 ans. Quant au milieu rural, l’Etat est confronté à un autre dilemme : assurer la fourniture d’eau de la population et des bêtes et ne pas perdre de vue l’amélioration de l’irrigation pour la production agricole. Peut-il imposer une redevance auprès d’un agriculteur ou d’un éleveur ? En cela, d’autres acteurs comme les collectivités locales (représentatives de la population), les ONG ou les femmes sont des relais indispensables pour l’efficacité de la distribution et de l’assainissement.
Epilogue
Un accès durable à l’eau potable est possible grâce une bonne gouvernance du secteur. Elle passe par une rationalisation de la gestion. La plupart du temps, les quantités existent dans les réservoirs qui desservent la population. Mais force est de constater que dans les pays sub-sahariens, plus de 50% de l’eau fournie n’est pas facturée ; cela peut remettre en cause - à terme - la viabilité des régies nationales. Ce sont des manques à gagner qui limite la maintenance de leurs équipements et obérer leurs investissements futurs. Quant à l’assainissement et le traitement de l’eau, il est encore au stade embryonnaire. Plus de la moitié des eaux traitées en Afrique est rejetée alors qu’elles peuvent utilisées à d’autres fins. Enfin, le citoyen-usager doit prendre conscience de l’enjeu de ce bien collectif. L’accès à l’eau ne peut être gratuit ; il exige un minimum de responsabilité pour permettre d’introduire une tarification – décision politique - avec un système de péréquation pour ne pas léser certaine frange de la population.
Alex ZAKA
Envoyé spécial à Nairobi
Paru dans le Diasporas-News n°72 de Mars 2016
Pour le président de la République Uhuru Kenyatta, dans son allocution lors de la cérémonie inaugurale, « l’eau est un droit absolu pour chaque habitant » en référence à l’article 43 de la Constitution. Il a également mis l’accent sur le rapport de l’OMS sur le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable : 700 millions environ ! Plus spécifiquement, il a pointé du doigt le risque de conflit que pourrait engendrer le problème de partage d’eau dans la corne de l’Afrique. Et enfin pour le Kenya, une zone semi-aride encore traumatisé par la sécheresse de 2009, le chef de l’Etat kenyan fait sienne de la Vision Kenya 2030 c’est-à-dire « l’accès et l’assainissement pour toute la population » ; dont seulement 56% en est aujourd’hui pourvue. Il a encore tenu à souligner « que le Kenya a toujours soutenu les initiatives des plusieurs organisations et institutions ayant trait au développement durable et à la gestion intégrée » ; d’où son soutien et sa présence pour l’ouverture du colloque de l’AAE.
L’eau est sans aucun doute la ressource la plus abondante de notre planète. La Terre est recouverte d’eau à 70%. Et pourtant, « toutes les 12 secondes un enfant meurt dans le monde pour cause de stress hydrique » ; un chiffre-choc livré par le président de l’AAE le Pr. Hamanth Kasan. A l’orée du XXIème siècle, « plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau salubre, et 2,4 milliards ne disposent ni de toilettes et encore moins d'évacuation des eaux usées ». L’accès durable à l’eau potable et l’assainissement sont des besoins vitaux. Cette problématique ne devrait-elle pas être le sujet de préoccupation majeure devant le changement climatique et les phénomènes migratoires ? Elle figurait d’ailleurs en Objectif n°7 du fameux Objectif Du Millénaire (OMD) – réduire la pauvreté de 50% à l’horizon 2015 - engagé par les Nations-Unies et approuvé par 189 pays. Ce grand défi planétaire supposait que chaque jour, 100.000 nouveaux habitants devaient être raccordés à un réseau d’eau. Aujourd’hui, cette fourniture d’eau au plus grand nombre figure encore en position n°6 de l’Objectif de Développement Durable (ODD) 2030 ; lequel a pris le relais du feu OMD. Afin de réaliser cet objectif, il faudrait consentir environ 10 milliards US$ par an d’investissement ; soit l’équivalent d’une semaine de dépenses militaires dans le monde ! En d’autres termes, il faut actuellement multiplier les rythmes d’investissement par trois pour l’eau potable et par quatre pour l’assainissement.
Tel un travail de Sisyphe, la tâche paraît insurmontable malgré l’effort conjugué de tous les acteurs (Etats, institutions, bailleurs de fonds, équipementiers, régies de distribution, techniciens, ONG…). Seuls la moitié des 53 pays africains peuvent se prévaloir d’avoir atteint l’objectif de 50% de population ayant accès à l’eau potable. Plusieurs raisons à cela : d’abord, les réservoirs en eau du continent sont inégalement répartis ; plus de 40% de la population vit dans une région aride ou semi-aride. Ensuite, il faut également tenir compte de l’impact du changement climatique qui apporte des crues énormes dans certaines régions ou la sécheresse dans d’autres ; si bien que les femmes en milieu rural sont obligées de parcourir plusieurs kilomètres pour trouver un point d’eau. Et enfin, une croissance démographique de 3% par an induit de facto une hausse exponentielle de la demande. Le constat est alarmant dans les zones périurbaines des mégalopoles congestionnées par l’exode rurale : d’abord parce que leur capacité des réseaux d’adduction d’eau est largement insuffisante et souvent détournée par les resquilleurs. Ensuite, ces raccordements sauvages sont préjudiciables aux régies de distribution pour cause d’eau non-facturée. Enfin, le traitement d’eaux usées est quasi-inexistant. Ce manque d’équipements collectifs provoque des conséquences sanitaires comme la mortalité infantile et d’autres épidémies à retardement.
L’eau, c’est la vie ! Y avoir accès est mis en avant par les Etats comme un droit fondamental comme d’autres services publics tels que la santé, l’éducation, l’électricité. Or, la problématique de l’eau et de l’assainissement intègre également une dimension technique, sociopolitique, économique, environnementale et même culturelle. Gabriel NEGATU le directeur de la BAD « région Est » confesse avec une certaine commisération que son établissement a engagé 4 milliards US$ dans le secteur. Et cela conformément à la stratégie décennale lancée en 2012 qui inclut la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’emploi des femmes et des jeunes. Malheureusement, selon ce banquier « les ressources financières sont limitées et la problématique de l’accès l’eau se heurte à l’arbitrage d’autres priorités que sont l’électricité, les routes et même l’agriculture ». Cette dernière représente aujourd’hui plus 80% des prélèvements en eau du continent ; 14% pour les collectivités et le reliquat pour l’industrie. L’eau, à la fois un besoin essentiel et facteurs de production au même titre que l’électricité. Le coût d’une irrigation est le double de la fourniture d’eau à la population. La production d’un (1) litre de la fameuse bière locale kenyane requiert 6 litres d’eau ; mais si on intègre l’électricité et l’approvisionnement des intrants, ce dernier chiffre avoisinerait les 10.000 litres d’eau !
Il n’existe aucun Etat au monde qui ne subventionne la fourniture d’eau potable à sa population et à fortiori dans les pays riches ou seulement dans les quartiers raccordés en Afrique. Et malheureusement ceux qui sont exclus du réseau restent à la merci de commerçants peu scrupuleux et le paient très chers. Lorsqu’on a le privilège d’avoir de l’eau du robinet 24h sur 24 et 7 jours 7, on a peine à imaginer les difficultés engendrées pour obtenir le minimum vital. De par sa dimension sociopolitique, le secteur de l’eau reste dans le giron étatique malgré quelques instillations de privatisation. L’Etat accorde généralement une délégation de services publics à une régie nationale pour la fourniture d’eau à la population. Celle-ci peut prendre la forme de contrat de concession ou d’affermage, de privatisation avec une agence de régulation, de sociétés mixtes ou Partenariat Public-Privé (PPP).
Face à ce problème structurel de l’accès durable à l’eau, des choix cornéliens s’imposent aux Etats : établir progressivement un modèle d’économie de l’eau, efficient et rentable, dans les zones urbaines où existe une demande potentielle solvable. Question : l’arrivée d’opérateurs privés internationaux ne va-t-elle pas asphyxiée les régies historiques ou les reléguer vers les marchés de seconde zone ? Car la maîtrise de la production, du transport, de la distribution, du traitement de l’eau c’est-à-dire l’intégration totale de la filière exige d’énormes investissements. Cependant, cette implication des capitaux étrangers (compagnies d’assurance, fonds de pension, multinationales de l’eau…), comme le souhaitent les bailleurs de fonds, se heurtent souvent à la particularité de ce marché : la stabilité politique pour la sécurisation des capitaux sur le long terme c’est-à-dire 15 voire 20 ans. Quant au milieu rural, l’Etat est confronté à un autre dilemme : assurer la fourniture d’eau de la population et des bêtes et ne pas perdre de vue l’amélioration de l’irrigation pour la production agricole. Peut-il imposer une redevance auprès d’un agriculteur ou d’un éleveur ? En cela, d’autres acteurs comme les collectivités locales (représentatives de la population), les ONG ou les femmes sont des relais indispensables pour l’efficacité de la distribution et de l’assainissement.
Epilogue
Un accès durable à l’eau potable est possible grâce une bonne gouvernance du secteur. Elle passe par une rationalisation de la gestion. La plupart du temps, les quantités existent dans les réservoirs qui desservent la population. Mais force est de constater que dans les pays sub-sahariens, plus de 50% de l’eau fournie n’est pas facturée ; cela peut remettre en cause - à terme - la viabilité des régies nationales. Ce sont des manques à gagner qui limite la maintenance de leurs équipements et obérer leurs investissements futurs. Quant à l’assainissement et le traitement de l’eau, il est encore au stade embryonnaire. Plus de la moitié des eaux traitées en Afrique est rejetée alors qu’elles peuvent utilisées à d’autres fins. Enfin, le citoyen-usager doit prendre conscience de l’enjeu de ce bien collectif. L’accès à l’eau ne peut être gratuit ; il exige un minimum de responsabilité pour permettre d’introduire une tarification – décision politique - avec un système de péréquation pour ne pas léser certaine frange de la population.
Alex ZAKA
Envoyé spécial à Nairobi
Paru dans le Diasporas-News n°72 de Mars 2016