Un pays d’exception dans une sous-région habituée à de profondes turbulences politiques, le Ghana quoique frappé de plein fouet par des récurrentes crises économiques et énergétiques, a mis au défi la stabilité de ses institutions. Appelés aux urnes le 7 décembre lors du scrutin présidentiel, les milliers d’électeurs ghanéens ont eu à choisir parmi plusieurs (sept) candidats dont deux rivaux : le sortant John Dramani Mahama et l’opposant Nana Akufo-Addo. Un processus émaillé de vives tensions.
Vice-président, puis président. Arrivé au pouvoir, en 2012, pour assurer l’intérim après la mort de son mentor John Atta Mills, il sera élu avec 50,7% des voix, quelques mois plus tard, à l’issue d’une élection bruyamment mais vainement contestée par son principal rival, Nana Akufo-Addo du NPP (Nouveau Parti Patriotique), qui a réalisé un score de 47,7% des voix. Lui, c’est John Dramani Mahama. Au scrutin présidentiel à un tour du 7 décembre 2016, le locataire de Flagstaff House, 58 ans, est candidat à sa propre succession. En novembre 2015, lors des primaires, son parti NDC (Congrès National Démocratique), l’a désigné avec un score soviétique de 95,1% des voix pour briguer un second mandat de quatre (04) ans à la tête du Ghana. Mais face à lui, son ennemi politique de longue, Nana Akufo-Addo qui se présentait pour la troisième fois. D’autres aussi en lice dont Nana Konadu Agyeman, l’épouse de l’ex-président Jerry Rawlings et l’homme d’affaires, Papa Kwesi Nduom du Parti populaire progressiste (PPP).
Remous. De grosses polémiques considérées dans certains milieux comme une bombe à fragmentation pour la transparence de la présidentielle et des législatives ont émaillé le processus électoral. Au commencement était la bataille autour du fichier électoral. L’opposition dénonçait l’inscription des étrangers dont les Togolais sur les listes et accusait le NDC (Congrès National Démocratique), de vouloir tripatouiller le fichier électoral en sa faveur. Même si le parti au pouvoir a toujours rejeté ces accusations, le candidat du NPP qui redoute, depuis le début ce processus, le vote des étrangers, en meeting le dimanche 13 novembre dernier, a de nouveau invité ses voisins du Togo « à se tenir à distance pour laisser les Ghanéens élire librement leur président ». Il a été aussi reproché à John Dramani Mahama de vouloir donner une tournure ethnique à la campagne électorale. En opération de charme dans le nord du pays, ce dernier a appelé les populations de cette région à voter pour lui, puisque lui-même « étant du nord ».
L’autre polémique est relative aux dossiers de candidature qui ont été au cœur d’une brouille entre la Commission électorale et les partis politiques. Ceux dont les candidatures ont été rejetées pour cause d’irrégularités ont dû saisir la justice pour trancher le litige qui les oppose à la Commission électorale. La Cour suprême du Ghana, pour éviter de justesse une crise électorale, avait ordonné la prorogation du délai des dépôts de candidature jusqu’au 8 novembre. Raison : permettre à certains partis disqualifiés de corriger les anomalies contenues dans leurs dossiers et faire de nouveaux actes de candidature.
Les tensions entre ces deux partis qui croissent depuis 2012 ont émaillé tout le processus. Une situation qui faisait redouter un probable embrasement des violences dans tout le pays. A deux jours du scrutin, des violences en marge d'un meeting électoral dans le nord-est du Ghana ont fait 14 blessés. Un partisan du principal parti d'opposition a été tué. Alors que récemment, la résidence du candidat du NPP, Nana Akufo-Addo, avait été attaquée, lorsqu’il était en campagne dans le pays.
Au-delà des remous, c’est l’avenir de la démocratie ghanéenne qui reste l’enjeu principal de ces élections. « La transition ne devrait pas être un problème », a confié Koku Anyidoho, Secrétaire général adjoint du NDC. Et d’ajouter : « Même dans le passé, lorsque nous devions bouger d’un parti vers l’autre, on réussissait à gérer le processus plutôt bien, la communauté internationale continue à nous féliciter pour la manière avec laquelle nous avons construit notre démocratie et nous pensons qu’après les élections de 2016, la démocratie ghanéenne aura progressé d’un cran. C’est ça qui nous intéresse ». L’avenir du Ghana, c’est aussi sa relance économique.
Aura. Malgré un optimisme forcené affiché John Dramani Mahama connaît une fin de mandat difficile entaché des scandales de corruption avec le renvoi de 20 juges, impliqués dans une affaire de pots-de-vin. Ce qui a fait perdre au pays son aura. « Il y a la perception d'une corruption généralisée dans l'administration de Mahama. Il y a une envie de changement », a pesté Kwesi Koomson, analyste à Africa Practice, un cabinet d’études. Depuis 2010, le pays exploite du pétrole. Sa croissance à deux chiffres qu’il atteignait en record est dans l’impasse. La croissance économique tourne au ralenti avec un fort accroissement de la dette (60% du PIB). Le Ghana entre-temps cité en référence, en quatre (04) ans seulement coule à la corruption, à l’inflation galopante, au déficit budgétaire et paralysé par une crise énergétique qui avait conduit à la démission de son ministre de l'Electricité Kwabena Donkor. En 2015, suite à la baisse des prix du pétrole à plus de 50%, le pays était contraint de revoir les prévisions des recettes pétrolières qui étaient alors passées de 4,2 milliards GH¢ (3,1% du PIB) à 1,5 milliard GH¢. Les coûts de l’or, du café et du cacao, premières ressources économiques du pays ont aussi chuté. Les prix des carburants et des denrées alimentaires, eux, sont en hausse constante. L’inflation à deux chiffres continue de peser lourd dans les ménages. Les banques durcissent le ton et les prêts sont faits aux taux excessifs de 33%. Suite à la crise financière, le pays avait sollicité un renflouement d’un milliard de dollars du FMI. En début de cette année, l’institution a accepté de décaisser 114 600 000 de dollars en faveur de ce pays côtier anglophone d’Afrique de l’ouest pour renforcer sa stabilité et sa croissance économique. Selon les analystes, les prévisions de croissance pour l'année 2017 sont bonnes.
Sur le plan énergétique, la demande en électricité s’accroît de 10 % par an. La Compagnie ghanéenne d’électricité (ECG), chargée de la distribution, et la Volta River Authority (VRA), le principal producteur vibrent entre des endettements structurels et difficultés d’approvisionnement. Au niveau du lac Volta, d’où est produite l’électricité du barrage d’Akosombo, la baisse est constante. La production du gisement offshore Jubilee, en branle service depuis 2010 a dû mal à combler les attentes. Tandis que l’acheminement par le gazoduc reliant ce pays et le Nigeria a été totalement stoppé après trois années d’interruptions à répétition en raison d’endommagements de l’infrastructure.
Sur le terrain, même s’il a essuyé de vives et virulentes critiques de l’opposition pour sa gestion hasardeuse du pays, John Dramani Mahama pouvait vanter ses nombreuses réalisations depuis son accession au pouvoir en tant que Président du Ghana il y a quatre (04) ans. « Notre bilan au pouvoir est impressionnant et nous pouvons tous être fiers. Je suis impatient pour les quatre autres prochaines années au Flagstaff House », déclarait-il à Accra. Il a lancé une série de réformes pour sauver l’économie ghanéenne de sa dépendance aux matières premières. 72 ans, avocat des Droits de l'Homme, ministre de la Justice de 2001 à 2003, candidat des électeurs déçus du dernier mandat de John Dramani, l'opposant Akufo-Addo, par son slogan « un quartier, une usine », espère redresser la courbe du chômage et développer le secteur privé en diminuant les charges patronales.
Tout compte fait, le pouvoir, lui, a défendu son bilan sur fond de stabilité du pays, l’opposition, elle, a garantie une « Terre promise ». Mais ce sont les Ghanéens qui ont voté, en tout cas.
Pierre-Claver KUVO
Paru dans le Diasporas-News n°80 Décembre 2016
Remous. De grosses polémiques considérées dans certains milieux comme une bombe à fragmentation pour la transparence de la présidentielle et des législatives ont émaillé le processus électoral. Au commencement était la bataille autour du fichier électoral. L’opposition dénonçait l’inscription des étrangers dont les Togolais sur les listes et accusait le NDC (Congrès National Démocratique), de vouloir tripatouiller le fichier électoral en sa faveur. Même si le parti au pouvoir a toujours rejeté ces accusations, le candidat du NPP qui redoute, depuis le début ce processus, le vote des étrangers, en meeting le dimanche 13 novembre dernier, a de nouveau invité ses voisins du Togo « à se tenir à distance pour laisser les Ghanéens élire librement leur président ». Il a été aussi reproché à John Dramani Mahama de vouloir donner une tournure ethnique à la campagne électorale. En opération de charme dans le nord du pays, ce dernier a appelé les populations de cette région à voter pour lui, puisque lui-même « étant du nord ».
L’autre polémique est relative aux dossiers de candidature qui ont été au cœur d’une brouille entre la Commission électorale et les partis politiques. Ceux dont les candidatures ont été rejetées pour cause d’irrégularités ont dû saisir la justice pour trancher le litige qui les oppose à la Commission électorale. La Cour suprême du Ghana, pour éviter de justesse une crise électorale, avait ordonné la prorogation du délai des dépôts de candidature jusqu’au 8 novembre. Raison : permettre à certains partis disqualifiés de corriger les anomalies contenues dans leurs dossiers et faire de nouveaux actes de candidature.
Les tensions entre ces deux partis qui croissent depuis 2012 ont émaillé tout le processus. Une situation qui faisait redouter un probable embrasement des violences dans tout le pays. A deux jours du scrutin, des violences en marge d'un meeting électoral dans le nord-est du Ghana ont fait 14 blessés. Un partisan du principal parti d'opposition a été tué. Alors que récemment, la résidence du candidat du NPP, Nana Akufo-Addo, avait été attaquée, lorsqu’il était en campagne dans le pays.
Au-delà des remous, c’est l’avenir de la démocratie ghanéenne qui reste l’enjeu principal de ces élections. « La transition ne devrait pas être un problème », a confié Koku Anyidoho, Secrétaire général adjoint du NDC. Et d’ajouter : « Même dans le passé, lorsque nous devions bouger d’un parti vers l’autre, on réussissait à gérer le processus plutôt bien, la communauté internationale continue à nous féliciter pour la manière avec laquelle nous avons construit notre démocratie et nous pensons qu’après les élections de 2016, la démocratie ghanéenne aura progressé d’un cran. C’est ça qui nous intéresse ». L’avenir du Ghana, c’est aussi sa relance économique.
Aura. Malgré un optimisme forcené affiché John Dramani Mahama connaît une fin de mandat difficile entaché des scandales de corruption avec le renvoi de 20 juges, impliqués dans une affaire de pots-de-vin. Ce qui a fait perdre au pays son aura. « Il y a la perception d'une corruption généralisée dans l'administration de Mahama. Il y a une envie de changement », a pesté Kwesi Koomson, analyste à Africa Practice, un cabinet d’études. Depuis 2010, le pays exploite du pétrole. Sa croissance à deux chiffres qu’il atteignait en record est dans l’impasse. La croissance économique tourne au ralenti avec un fort accroissement de la dette (60% du PIB). Le Ghana entre-temps cité en référence, en quatre (04) ans seulement coule à la corruption, à l’inflation galopante, au déficit budgétaire et paralysé par une crise énergétique qui avait conduit à la démission de son ministre de l'Electricité Kwabena Donkor. En 2015, suite à la baisse des prix du pétrole à plus de 50%, le pays était contraint de revoir les prévisions des recettes pétrolières qui étaient alors passées de 4,2 milliards GH¢ (3,1% du PIB) à 1,5 milliard GH¢. Les coûts de l’or, du café et du cacao, premières ressources économiques du pays ont aussi chuté. Les prix des carburants et des denrées alimentaires, eux, sont en hausse constante. L’inflation à deux chiffres continue de peser lourd dans les ménages. Les banques durcissent le ton et les prêts sont faits aux taux excessifs de 33%. Suite à la crise financière, le pays avait sollicité un renflouement d’un milliard de dollars du FMI. En début de cette année, l’institution a accepté de décaisser 114 600 000 de dollars en faveur de ce pays côtier anglophone d’Afrique de l’ouest pour renforcer sa stabilité et sa croissance économique. Selon les analystes, les prévisions de croissance pour l'année 2017 sont bonnes.
Sur le plan énergétique, la demande en électricité s’accroît de 10 % par an. La Compagnie ghanéenne d’électricité (ECG), chargée de la distribution, et la Volta River Authority (VRA), le principal producteur vibrent entre des endettements structurels et difficultés d’approvisionnement. Au niveau du lac Volta, d’où est produite l’électricité du barrage d’Akosombo, la baisse est constante. La production du gisement offshore Jubilee, en branle service depuis 2010 a dû mal à combler les attentes. Tandis que l’acheminement par le gazoduc reliant ce pays et le Nigeria a été totalement stoppé après trois années d’interruptions à répétition en raison d’endommagements de l’infrastructure.
Sur le terrain, même s’il a essuyé de vives et virulentes critiques de l’opposition pour sa gestion hasardeuse du pays, John Dramani Mahama pouvait vanter ses nombreuses réalisations depuis son accession au pouvoir en tant que Président du Ghana il y a quatre (04) ans. « Notre bilan au pouvoir est impressionnant et nous pouvons tous être fiers. Je suis impatient pour les quatre autres prochaines années au Flagstaff House », déclarait-il à Accra. Il a lancé une série de réformes pour sauver l’économie ghanéenne de sa dépendance aux matières premières. 72 ans, avocat des Droits de l'Homme, ministre de la Justice de 2001 à 2003, candidat des électeurs déçus du dernier mandat de John Dramani, l'opposant Akufo-Addo, par son slogan « un quartier, une usine », espère redresser la courbe du chômage et développer le secteur privé en diminuant les charges patronales.
Tout compte fait, le pouvoir, lui, a défendu son bilan sur fond de stabilité du pays, l’opposition, elle, a garantie une « Terre promise ». Mais ce sont les Ghanéens qui ont voté, en tout cas.
Pierre-Claver KUVO
Paru dans le Diasporas-News n°80 Décembre 2016