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Dossier: Les déchets industriels en Afrique

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De manière très discrète, le recyclage illicite des déchets toxiques de l'Occident en Afrique continue en toute impunité ; silence rompu parfois par quelques scandales tels que la découverte de containers radioactifs en Somalie, ou l’affaire du Probo Koala en Côte d'Ivoire.
Dossier: Les déchets industriels en Afrique
L’affaire « Probo Koala » continuera de hanter la Côte d’Ivoire, et ce encore pour des décennies. Août 2006, la cargaison de ce bateau soit 500 m3 de déchets hautement toxiques (du gaz nauséabond et létal à forte concentration), dérivés de raffinage du naphta de cokéfaction, ont été déversés en catimini dans une dizaine de décharges aux environs d’Abidjan. Bilan : 17 morts. Pendant plusieurs mois, plus de 100.000 personnes gravement intoxiquées ont dû passer par des centres de santé. Ils se plaignaient de nausées, de maux de tête, de douleurs abdominales, de diarrhée ou de problèmes de peau.
Cette catastrophe s’apparente – toute proportion gardée - à celle de l’usine américaine de pesticides Union Carbide, à Bhopal (Inde) en décembre 1984 ; une ville de 800.000 habitants. L’explosion d’une cuve avait fait quelques 3.500 morts la première nuit. L’émanation de gaz toxique a, par la suite, alourdit le bilan après quelques semaines. Au fil des années, les hérauts n’ont jamais cessé de revoir à la hausse le nombre de victimes. En 2010, le Washington Post a dénombré plus de 12.000 morts et quelques 300.000 malades directement provoqués par la catastrophe de Bhopal. Le directeur américain de la société ne s’est jamais présenté à la convocation de la justice indienne et mourût dans son lit en toute impunité en 2014.
L’affréteur du Probo Koala est la société Trafigura, une multinationale de négoce en énergie et matières premières et n°3 du négoce pétrolier mondial. Pénalement responsable mais moyennant le versement d’une somme de 95 milliards de FCFA (environ 145 millions €uros), l’Etat ivoirien cessera toute poursuite judiciaire contre la société contrevenante ; accord à l’amiable signé en février 2007.
Parallèlement, un groupe composé de 31.000 victimes décida de porter l’affaire devant la justice britannique, lieu de domicile des dirigeants de la multinationale. En septembre 2009, Trafigura négocie un accord d’indemnisation avec le cabinet d’avocats Leigh Day & Co, défenseur des plaignants. Elle s’est engagée à verser 1.500 $ à chaque victime soit un total de 22 milliards FCFA (33 millions €uros). Les autorités ivoiriennes de l’époque ont décidé que ce sera à la Coordination Nationale des Victimes des Déchets Toxiques (CNVDT-CI), une association factice, d’organiser les dédommagements. Et depuis l’argent a été détourné sans nulle trace ! En janvier 2015, la justice ivoirienne prononça une condamnation à 20 ans de prison – peine jamais exécutée – à l’encontre de quatre personnes jugées responsables de la disparition des 4,5 milliards FCFA (environ 7 millions €uros) destinés à indemniser partiellement 6.000 victimes qui n’ont toujours pas reçu de compensations financières. Et ce procès qui a refait encore surface en ce début d’année 2016.
 
L’errance d’un bateau indésirable  (Probo-Koala)
Avril 2006, le Probo Koala a été refoulé par les autorités portuaires en Tunisie. Ensuite son périple l’emmena par l’Italie, la France et Gibraltar avant d’accoster en juillet à Amsterdam. Ce dernier est un port doté d’infrastructures de traitement de ce genre de déchets. Mais compte tenu de sa dangerosité de la cargaison, le devis fut revu à la hausse : de 23 €uros à 750 €uros par m3. Normalement, le navire ne devait plus prendre la mer mais après moult tractations et un imbroglio administratif et judiciaire, les autorités néerlandaises relâchèrent le navire suspicieux. Il a fait ensuite escale à Paldiski en Estonie où un contrôle de routine d’un agent peu scrupuleux lui fournît un sauf-conduit. Dès la fin du mois de juillet, on retrouvera sa trace entre Lomé, Lagos et Cotonou sans pouvoir se débarrasser de son poison. Finalement en août, la galère du Probo Koala va trouver son épilogue à Abidjan. Puma Energy, filiale du groupe Trafigura Beheer BV, contracte avec la société ivoirienne Tommy, nouvellement agréée, laquelle accepta de prendre en charge la cargaison empoisonnée pour un coût dérisoire de 13.000 €uros !
Dans cette catastrophe, seuls le dirigeant de la société Tommy ainsi qu’un agent maritime ont été condamnés en 2008 ; respectivement à 20 ans et 5 ans d’emprisonnement. Le Probo Koala, immatriculé au Panama [NDLR cf article Panama papers], appartenait à un armateur grec, composé d’équipage russe, affrété par une société enregistrée au Pays-Bas, laquelle est dirigée par deux ressortissants français domiciliés en Grande-Bretagne ! Trafigura Neederland, ayant échappé au glaive de la justice ivoirienne et britannique en trouvant des « arrangements », fut quand même pénalement poursuivie au Pays-Bas pour exportation illégale de déchets dangereux. En 2010, un tribunal de la Haye a condamné Trafigura à 1 million $ d’amende assorti d’une poursuite à l’encontre de Claude Dauphin, président de la multinationale ; lequel a fait appel de cette décision. Quant à sa maison-mère Trafigura Beheer BV dont le siège social se trouve en Suisse, son crime a été totalement prescrit par le gouvernement ivoirien. Sinon comment expliquer qu’en février 2016, sa filiale Puma Energy – dirigée par le neveu du président Alassane Ouattara - ait pu acquérir la branche « distribution de produits pétroliers » de Petroci, la société d’Etat ivoirienne qui a perdu, en une année, 5% de part de marché face à ses concurrents. La chute du cours mondial du baril de pétrole a, en effet, obligé cette dernière à céder sa quarantaine de stations service.
 

Dossier: Les déchets industriels en Afrique
Somalie, Etat failli
En décembre 2004, le tsunami provoqué par un séisme dévastateur au large de l’Indonésie a éclairé sous un jour nouveau l’ampleur de dégâts sur la côte somalienne. Plusieurs containers de 2 m3, disposant des crochets pour permettre de les jeter par-dessus bord, ont été charriés sur la plage. En tout une quarantaine de barils dont certains sont endommagés et éventrés. Leur contenu : des déchets issus de centrales nucléaires ; donc hautement radioactifs. Cette découverte ne faisait que corroborer les témoignages de certains pêcheurs somaliens qui croisaient souvent à proximité de leur côte des navires étrangers larguant des containers. Il n’est pas étonnant qu’apparaissent en Somalie, depuis les années 2000, des maladies telles que le cancer, la leucémie, le lymphome, des malformations prénatales ou encore des fausses couches.
La guerre civile qui sévît depuis 1988 sous le règne du président Siad Barre n’a fait qu’amplifier ce trafic déjà existant. Les seigneurs de guerre, les anciens ministres de l’ancien chef d’Etat ont été soudoyés par des sociétés européennes (principalement de nationalité suisse et italienne) pour enfouir des déchets toxiques sur leur territoire. Ensuite, le système a été érigé en activité étatique lorsque le président Ali Mahdi Mohamed (1991 à 1997) était aux affaires ; puisqu’il aurait signé un contrat « de récupération de 10 millions de tonnes de déchets toxiques » contre 80 millions $ et la fourniture d’armes. De réputation, la Ndrangheta – la mafia calabraise – est le bras séculier du trafic de navires chargés de déchets radioactifs. Rappelons qu’au 20ème siècle, la mafia italienne aux Etats-Unis avait déjà prospéré grâce à la gestion des déchets et des ordures avant de se diversifier dans l’alcool lors de la prohibition. Mais les écoutes téléphoniques de la police judiciaire italienne et les confessions de mafiosi repentis attestent de l’implication d’hommes politiques en haut-lieu, d’industriels et des « frères » de la sulfureuse loge maçonnique P2. Les navires pouvaient être sabordés en Méditerranée ou envoyés en Haïti ou encore en Somalie. En 1994, deux journalistes transalpins ont payé de leur vie en voulant enquêter de trop près en Somalie ; ils furent assassinés à Mogadiscio. Le sujet est très sensible : au début des années 1990, le tarif était fixé à environ 100 $ la tonne de déchets alors qu’on estimait le stock à 500.000 tonnes ! Depuis 2008, face à la piraterie somalienne dans le golfe d’Aden, une importante force de dissuasion internationale et de patrouille a été organisée. Il s’agit de l’opération Ocean Shield de l’OTAN, Atalante pour l’Union Européenne auxquelles il faut rajouter la participation d’autres pays comme le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, la Russie et la Chine. En tout une coalition d’une quinzaine de pays. Cette surveillance maritime et aérienne pour sécuriser la marine marchande n’a jamais donc pu enregistrer ne serait-ce qu’un seul bâtiment suspect transportant des déchets toxiques ou nucléaires ?
 
Ces deux cas [Probo Koala, Somalie] illustrent bien que tout le continent africain est gangréné par l’arrivée des déchets en provenance des pays industriels du Nord. Et cela ne date pas d’hier ; ce transvasement Nord-Sud était une pratique courante jusqu’au début des années 1980, puisqu’aucune réglementation internationale ne l’interdisait. Financièrement asphyxiés, la plupart des pays africains ont succombé à la tentation de l’argent facile ; des contrats signés - pour l’importation et l’entreposage de déchets - dans le cadre d’une coopération bilatérale ou pour plus de discrétion avec des sociétés privées via des montages dans les paradis fiscaux. Le phénomène s’est encore amplifié entre 1970 et 1980, au fur et à mesure que des normes environnementales ont été mises en place dans les pays industrialisés. Le coût de traitement ou de l’entreposage des déchets industriels ont flambé. Il variait entre 75 à 300 $ par tonne alors que la mafia (napolitaine ou calabraise) les prenait en charge pour 10 fois moins et les pays en développement 100 fois moins.
Nous avons cité que les déchets dangereux mais il existe par ailleurs d’autres produits mis en rebut qui échoient aux pays pauvres : les friperies et les D3E (Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques) comme les ordinateurs - au prétexte de réduction de la fracture numérique Nord Sud -, les téléphones portables… De manière insidieuse encore et à plus ou moins long terme, ces rejets entravent le développement de nos tissus industriels même si dans l’immédiat ils permettent à des millions de personnes du secteur informel d’en tirer de substantiels revenus. Les statistiques de l’Organisation Mondiale des Douanes estiment que « 10% du trafic par conteneurs dans le monde concerne des biens dangereux ou illégaux, incluant les déchets électriques et électroniques ».
Et pourtant en 1989, fut signée par 190 pays la Convention de Bâle ; un traité international sur l’interdiction d’exportation de déchets toxiques y compris les D3E. Entrée en vigueur en 1992  mais jamais ratifiée par les Etats-Unis, l’Afghanistan et Haïti. Sur le continent africain, la Convention de Bamako de 1991 sur le strict contrôle des importations de produits dangereux était censée renforcer celle de Bâle. Force est de constater que lesdites Conventions n’ont jamais empêché l’arrivée massive des containers de D3E. Bien au contraire, jusqu’à 100 conteneurs de déchets électriques et électroniques quittent l’Allemagne pour le Ghana chaque semaine en contournant la loi par le biais d’exportation de matériel d’occasion. Au moment de l’achat d’appareils produits électriques et électroniques neufs, un consommateur occidental est tenu de payer une éco-participation comprise entre 1 et 20 €uros. Cette taxe est destinée au recyclage puis à la valorisation des D3E ; une manne financière de 4 milliards €uros par an escamotée par les industriels européens. Ils ne traitent que le tiers des déchets électroniques ; les deux-tiers restant seront expédiés et démantelés gratuitement en Afrique !
 
Alex ZAKA
Paru dans le Diasporas-News n°74 de Mai 2016
 


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