Descendant de Toussaint Louverture et de Dessalines, l’histoire du peuple haïtien semble assez tumultueuse depuis deux siècles : cycle de violences à chaque alternance électorale. Peut-on vraiment parler d’indépendance et de souveraineté au regard de la collusion d’intérêts entre une oligarchie autochtone avec plusieurs pays riches ?
Depuis le 7 février, date de la fin du mandat du président-sortant, la République d’Haïti est entrée dans l’inconstitutionnalité et donc par définition ingouvernable. Conformément à la loi électorale, le second tour de l’élection présidentielle aurait dû se tenir au plus tard 60 jours après le premier tour c’est-à-dire le 27 décembre. Il a été reporté une première fois le 24 janvier. Et deux jours avant cette date, elle a été reportée sine die ! Comment peut-il en être autrement lorsque les irrégularités flagrantes ont émaillé l’ensemble des élections de l’année passée. Comme pour les élections législatives du 9 août ou encore celles du premier tour des présidentielles du 25 octobre, Il y avait toute la panoplie de la mascarade électorale : la falsification des procès-verbaux, le bourrage des urnes, la circulation de bulletins de vote déjà cochés transportés en voiture vers des bureaux de vote ou des centres de collecte, le vote au profit d’un candidat pour 1.000 gourdes (soit 11 $)… Bref, la suite était prévisible : manifestations violentes d’opposants dans les rues, contestation générale de la plupart des 54 candidats. Face à cette bronca, le Conseil Electoral Provisoire (CEP) a dû refaire ses comptes. Après le retrait des procès -verbaux jugés douteux ou frauduleux, seuls 26% des bulletins ont été validés. Ce verdict remet totalement en cause le résultat du premier tour. Pour l’anecdote, le quarté gagnant sorti des urnes fut le suivant : Jovenel Moïse le candidat du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) arrive en tête avec 32,81%. Totalement inconnu il y a encore un an, il a été choisi comme dauphin par le président sortant Michel Martelly (Sweet Micky ou encore Tèt Kale, tête chauve en créole), lequel ne pouvait plus se représenter. Il est talonné par Jude Célestin de l’Alternative - 25,27% - du parti de l’ancien chef de l’Etat René Préval. Opposant farouche à Michel Martelly, Jean-Charles Moïse du Platform Pitit Desalin (PPD) en obtenant 14,27% figure en troisième position. Et Maryse Narcisse de Fanmi Lavalas (la famille du torrent) le parti du l’ancien président Jean-Bertrand Aristide ferme la marche avec 7%. Devant une telle situation, le Core Group (MINUSTAH et les ambassadeurs de France, Etats-Unis, Espagne, Brésil, Union Européenne) réitère toujours « son appui pour la conclusion d’un processus électoral inclusif et équitable… ».
Le règne de Sweet Micky
Le président Michel Martelly, arrivé au pouvoir en 2011, a superbement snobé la Constitution. Omnipotent et autocratique, il n’a jamais voulu le renouvellement du parlement ; préférant gouverner par ordonnances ou par décrets. Au bout de quatre ans, le Sénat a été vidé des deux-tiers de ses membres non-renouvelés. Sous la pression de la communauté internationale, le chef de l’Etat a fini par promulguer la loi électorale qui devait déboucher in-fine sur la mise en place de toutes les institutions fin 2015. Le scrutin du 9 août dernier avait pour but rétablir ce pouvoir législatif : élire les 20 sénateurs manquants et les 119 députés. Ces élections ont été précédées d’une campagne très violente ponctuée d’échauffourées voire des assassinats de membres de partis adverses. Rien que pour les élections législatives, on a recensé 1.855 candidats pour 139 sièges à pourvoir ; une pléthore d’impétrants malgré les frais d’inscription exorbitants et dissuasifs fixés par le CEP. Cette barrière financière a exclu d’emblée les citoyens engagés qui étaient susceptibles de porter les revendications de la majorité au parlement. Elle démontre également le rejet des partis politiques traditionnels auxquels la population n’y croyait plus. Les nouveaux députés élus sont pour la plupart des « mercenaires » au solde de quelques grandes écuries qui ont couvert leur inscription ou le financement de leur campagne. La grosse machine électorale du PHTK – le parti du président Michel Martelly - a usé de son trésor de guerre pour crée une centaine de micro-partis en moins d’un an ; une manœuvre visant à diluer les nombres de voix des partis d’opposition dans les circonscriptions. Songez que chaque prétendant pouvait mandater un délégué dans chaque bureau de vote ; si bien que le jour du scrutin, certains ont dû être fermés prématurément avant qu’on y mette le feu. Résultat des courses : seulement huit élus et le reste des candidats n’ont pas obtenu la majorité absolue mais les candidats du PHTK sont tous en ballotage favorable.
A la suite du second tour jumelé aux élections présidentielles du mois d’octobre, la Chambre Haute dispose maintenant de 22 sénateurs et il reste encore 8 postes à pouvoir ; tandis que l’Assemblée Nationale n’est composée que de 92 députés. Comment pallier aujourd’hui à cet Etat ingouvernable en attendant l’élection d’un nouveau président de la République. Le Mouvement National pour l'Organisation du Pays (MONOP) – issus de l’opposition - se prononce en faveur d'un gouvernement transitoire. Il serait dirigé par le doyen des magistrats de la cour de Cassation pour un mandat de courte durée c’est-à-dire 90 à 120 jours maximum.
Haïti, sous tutelle étrangère ?
Haïti première République de peuple noir en 1804 mérite-elle un tel calvaire ? Mis au ban des Nations dont la plupart sont esclavagistes, il a fallu 20 ans pour que la France monarchiste reconnaisse en fin son indépendance. En 1825, le roi Charles X signa la promulgation en contrepartie d’un dédommagement des propriétaires d’esclaves libérés estimé à 150 millions de francs-or (soit 17 milliards €uros actuels). Cette somme n’a été entièrement acquittée par Haïti qu’en 1936. En mai 2015, le président François Hollande évoqua cette « dette d’indépendance » à Pointe-à-Pitre, quelques jours avant sa visite à Port-au-Prince, en ses termes quelques peu ambigus : « quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ». Faux espoirs pour les haïtiens qui s’attendaient à un remboursement intégral de la dette. Il s’agit en fait d’une dette morale et faute de mieux, le chef de l’Etat français s’est engagé auprès de son homologue haïtien à renforcer l’aide de la France. Tout au long du XIXème siècle, cette dernière a su exercé une certaine tutelle sur Haïti aux travers de la seule banque du pays détenue par des capitaux hexagonaux. Elle fut supplantée par les Etats-Unis en 1914 qui imposèrent un régime de protectorat pendant deux décennies. Même si les américains ont quitté définitivement l’ancienne île de Saint-Domingue, n’en demeure pas moins qu’ils considèrent les Caraïbes comme leur arrière-cour. Comme la nature a horreur du vide, les terres accaparées par les colons américains ont été reprises par la bourgeoisie qui prospérait déjà en ville.
Le président Michel Martelly, arrivé au pouvoir en 2011, a superbement snobé la Constitution. Omnipotent et autocratique, il n’a jamais voulu le renouvellement du parlement ; préférant gouverner par ordonnances ou par décrets. Au bout de quatre ans, le Sénat a été vidé des deux-tiers de ses membres non-renouvelés. Sous la pression de la communauté internationale, le chef de l’Etat a fini par promulguer la loi électorale qui devait déboucher in-fine sur la mise en place de toutes les institutions fin 2015. Le scrutin du 9 août dernier avait pour but rétablir ce pouvoir législatif : élire les 20 sénateurs manquants et les 119 députés. Ces élections ont été précédées d’une campagne très violente ponctuée d’échauffourées voire des assassinats de membres de partis adverses. Rien que pour les élections législatives, on a recensé 1.855 candidats pour 139 sièges à pourvoir ; une pléthore d’impétrants malgré les frais d’inscription exorbitants et dissuasifs fixés par le CEP. Cette barrière financière a exclu d’emblée les citoyens engagés qui étaient susceptibles de porter les revendications de la majorité au parlement. Elle démontre également le rejet des partis politiques traditionnels auxquels la population n’y croyait plus. Les nouveaux députés élus sont pour la plupart des « mercenaires » au solde de quelques grandes écuries qui ont couvert leur inscription ou le financement de leur campagne. La grosse machine électorale du PHTK – le parti du président Michel Martelly - a usé de son trésor de guerre pour crée une centaine de micro-partis en moins d’un an ; une manœuvre visant à diluer les nombres de voix des partis d’opposition dans les circonscriptions. Songez que chaque prétendant pouvait mandater un délégué dans chaque bureau de vote ; si bien que le jour du scrutin, certains ont dû être fermés prématurément avant qu’on y mette le feu. Résultat des courses : seulement huit élus et le reste des candidats n’ont pas obtenu la majorité absolue mais les candidats du PHTK sont tous en ballotage favorable.
A la suite du second tour jumelé aux élections présidentielles du mois d’octobre, la Chambre Haute dispose maintenant de 22 sénateurs et il reste encore 8 postes à pouvoir ; tandis que l’Assemblée Nationale n’est composée que de 92 députés. Comment pallier aujourd’hui à cet Etat ingouvernable en attendant l’élection d’un nouveau président de la République. Le Mouvement National pour l'Organisation du Pays (MONOP) – issus de l’opposition - se prononce en faveur d'un gouvernement transitoire. Il serait dirigé par le doyen des magistrats de la cour de Cassation pour un mandat de courte durée c’est-à-dire 90 à 120 jours maximum.
Haïti, sous tutelle étrangère ?
Haïti première République de peuple noir en 1804 mérite-elle un tel calvaire ? Mis au ban des Nations dont la plupart sont esclavagistes, il a fallu 20 ans pour que la France monarchiste reconnaisse en fin son indépendance. En 1825, le roi Charles X signa la promulgation en contrepartie d’un dédommagement des propriétaires d’esclaves libérés estimé à 150 millions de francs-or (soit 17 milliards €uros actuels). Cette somme n’a été entièrement acquittée par Haïti qu’en 1936. En mai 2015, le président François Hollande évoqua cette « dette d’indépendance » à Pointe-à-Pitre, quelques jours avant sa visite à Port-au-Prince, en ses termes quelques peu ambigus : « quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ». Faux espoirs pour les haïtiens qui s’attendaient à un remboursement intégral de la dette. Il s’agit en fait d’une dette morale et faute de mieux, le chef de l’Etat français s’est engagé auprès de son homologue haïtien à renforcer l’aide de la France. Tout au long du XIXème siècle, cette dernière a su exercé une certaine tutelle sur Haïti aux travers de la seule banque du pays détenue par des capitaux hexagonaux. Elle fut supplantée par les Etats-Unis en 1914 qui imposèrent un régime de protectorat pendant deux décennies. Même si les américains ont quitté définitivement l’ancienne île de Saint-Domingue, n’en demeure pas moins qu’ils considèrent les Caraïbes comme leur arrière-cour. Comme la nature a horreur du vide, les terres accaparées par les colons américains ont été reprises par la bourgeoisie qui prospérait déjà en ville.
A chaque évènement ou soubresaut politique en Haïti, ces liens historiques et cette influence franco-américaine apparaissent toujours en filigrane. En 1986, Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) fut lâché par ses alliés américains et français ; ce qui mettra fin à une dictature sanguinaire de 30 ans des Duvalier : de 1957 à 1971 pour le père François et de 1971 à 1986 pour le fils. De l’intérieur, un mouvement de masse appelé Lavalas (torrent) emporta Baby Doc mais la transition dirigée par un conseil de gouvernement duvaliériste perdure. Une nouvelle constitution fut plébiscitée en 1987 ; mais il a fallu attendre 1991 pour avoir l’avènement d’un nouveau président de la République élu démocratiquement. Il s’agit de Jean-Bertrand Aristide (Titide), prêtre charismatique affilié à la « théologie de la libération ». Il prît la tête du mouvement Lavalas et devînt porte-étendard des pauvres des bidonvilles face à une oligarchie de métis. Il a été déposé par un putsch après six mois seulement d’exercice et trouva refuge aux Etats-Unis lesquels décrétèrent un blocus économique. L’administration Clinton rétablira Titide en 1994 avec une portion néo-libérale à appliquer au peuple exsangue. Son premier ministre René Préval le succéda en 1996. Plus malléable, celui-ci appliqua le plan américain sans état d’âmes. C’est dans ce pays en pleine déconfiture que Titide revient au pouvoir en 2000. Mais le prêtre défroqué qui a suscité autant d’espoirs vît désormais dans sa tour d’ivoire. Il a épousé une avocate haïtiano-américaine et ses milices « chimères » rivalisaient avec les tristement célèbres tontons macoutes.