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Burundi : L’ombre d’une guerre civile plane

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Pierre Nkurunziza, fervent croyant, emprunt de mysticisme, est persuadé qu’il tient son pouvoir du droit divin et de l’onction du peuple avec 69% de suffrage. Au fil des mois, les ennemis se font plus nombreux ; ingrédients qui risque de faire basculer, encore une fois, le Burundi dans le cauchemar.
Burundi : L’ombre d’une guerre civile plane
Le 11 décembre dernier, trois camps militaires ont fait l’objet d’attaques simultanées pendant plusieurs heures, à Bujumbura et ses environs. Une fois les rebelles repoussées, une opération de représailles des forces de l’ordre loyalistes s’en est suivie dans certains quartiers de la capitale réputés être opposés au régime du président Pierre Nkurunziza. Outre les dizaines de morts identifiés lors de l’assaut des différentes casernes, on a découvert avec stupeur une centaine de victimes d’exécutions sommaires, à la suite de la ratonnade des militaires.
Réunion en urgence du Conseil de sécurité, branle-bas de combat diplomatique au sein de l’Union Africaine : une Mission de Paix Africaine Pour le Burundi (MAPROBU), composée de 5.000 hommes et pour une durée de six mois a été décidée. Mais le Conseil National de Sécurité du Burundi a refusé le déploiement sur son sol d’une force panafricaine. Cette instance estime que « la menace de génocide qui justifierait ce déploiement n’est qu’une machination des détracteurs du gouvernement » ; rappelant urbi et orbi que le « Burundi est l’un des pourvoyeurs – 6.000 hommes – de troupes pour le maintien de la paix en Afrique ; donc capable d’assurer la sécurité de sa population ».
Pourquoi prendre encore des précautions oratoires face à une guerre civile ? Cette crise politique larvée, contre la volonté du chef de l’Etat de briguer un troisième mandat, transcende toutes les couches sociales. Elle est aujourd’hui instrumentalisée par le régime pour la transformer en affrontement ethnique. Le chef de l’Etat Pierre Nkurunziza avait fixé un ultimatum - pour le 7 novembre - contre les mouvements de contestation et d’insurrection postélectoraux. Le président du Sénat Révérien Ndikuriyo avait renchérit, dès le 29 octobre, dans la rhétorique tribale : « si vous entendez le signal avec une consigne que çà doit se terminer, les émotions et les pleurs n’auront plus de place » ; un appel sans équivoque à l’extermination des tutsis en 1993. Un signe qui ne trompe pas ; à la suite de l’attaque des camps militaires, les Etats-Unis ont instamment demandé à ses ressortissants de quitter le Burundi.

 

Burundi : L’ombre d’une guerre civile plane
Retour sur une année de contestation  
Envers et contre tout Pierre Nkurunziza décida d’outrepasser la Constitution pour se représenter à la magistrature suprême. Au sein même de sa famille politique le CNDD-FDD, le « comité des sages » a émis un avis négatif. Il a fallu un congrès extraordinaire en avril 2015 pour que le président sortant obtienne l’onction du parti. A l’issue de sa désignation, il a solennellement déclaré que « ce qui vient de se passer est le résultat de longues prières ». Et surtout ce fut un conclave très surveillé et encadré par la milice Imbonerakure contre d’éventuels récalcitrants. Dès l’annonce de cette candidature, plusieurs quartiers de la capitale burundaise sont devenus le foyer de la contestation. Au mois de mai de cette année, profitant d’une absence du chef de l’Etat Pierre Nkurunziza – sommet régional sur le cas burundais en Tanzanie – le général Godefroid Niyombare fomenta un coup d’Etat qui échoua quelques jours plus tard. A l’issue d’un scrutin boycotté par l’opposition, Pierre Nkurunziza fut réélu avec plus 69% de voix au mois de juillet. Et depuis, comme les partis politiques et les médias ont été muselés, la résistance s’est organisée dans les quartiers contestataires contre les descentes quotidiennes des forces de l’ordre. Les habitants se sont armés pour faire face aux arrestations arbitraires de la police, les menaces à l’encontre des membres de la société civile. 

Burundi : L’ombre d’une guerre civile plane
Mais l’avènement du troisième mandat, confirmé par la réélection du président Pierre Nkunrunziza, a scellé la scission au sein de l’armée ; pressentie depuis plus d’un an. Même si certains putschistes ont été arrêtés, plusieurs officiers ont pris le maquis dont le général Godefroid Niyombare qui, lui, aurait pris la tête d’une unité rebelle appelée Mouvement National Burundais (MNB). Les officiers loyalistes, qui ont mis en échec le coup d’Etat, ont pour la plupart été victimes d’assassinat : le général Adolphe Nshimirimana, l’un des « sécurocrates » du régime a été tué lors d’une embuscade début août ; quelques semaines plus tard, le convoi du chef d’état-major le général Prime Niyongabo tomba dans un guet-apens dont il s’en sortît miraculeusement. Les enquêtes sur ces assassinats ont conduit à plusieurs arrestations au sein même des Forces Armées Burundaises (FAB) ; elles incitèrent également certains éléments à déserter. Une myriade de groupes rebelles, qui étaient en veilleuse, sont réapparus. Le MNB (cf ci-dessus) naquît en 2010 pour dénoncer déjà les fraudes massives aux élections présidentielles ; de même que le Mouvement Patriote Révolutionnaire (MPR) qui voulût participer aux élections de 2015 a repris le maquis. Le lieutenant Gaston Ntakarutimana, un vieux cheval de retour – qui a été condamné pour un coup d’Etat en 2001 – a repris les armes au sein du Front de la Jeunesse Patriotique (FJP). Alexis Sinduhije, un opposant vivant en exil - fondateur le Conseil National de Transition au lendemain de la victoire de Pierre Nkurunziza – détiendrait le plus de combattants. La dernière rébellion déclarée en décembre 2015 serait-elle capable de rassembler autour d’elle une coalition solide ? Il s’agit des Forces républicaines du Burundi, le FOREBU du lieutenant-colonel Edouard Nshimirimana avec pour objectif : « chasser par la force Pierre Nkurunziza du pouvoir pour restaurer l’Accord d’Arusha et la démocratie au Burundi ».
L’histoire bégaye au Burundi. En 1993, le CNDD-FDD - le parti de Pierre Nkurunziza – n’était qu’une nébuleuse de milices localisée dans le quartier de Kamenge à Bujumbura. Il a su rassembler des combattants hutus. Transformé en mouvement politique structuré, il a été intégré in-extremis aux pourparlers débouchant sur les accords d’Arusha en 2000.
 
La solution politique en panne   
Une médiation de la CEEAC, placée sous l’égide du président ougandais Yoweri Museveni, a été organisée au mois de juillet dernier à Bujumbura. Mais la majorité présidentielle en position de force rompît le dialogue quelques jours seulement avant les élections présidentielles. Le 28 décembre 2015, une seconde tentative de médiation a eu lieu à Entebbe (Ouganda) : le CNDD-FDD face à un groupe opposé au troisième mandat soit une dizaine de partis ou société civile regroupés au sein du Conseil National pour le Respect de l’Accord d’Arusha et la Restauration d’un État de droit au Burundi (CNARED). Pour le CNDD-FDD, « discuter avec le CNARED reste une ligne rouge pour le gouvernement » dans la mesure où leurs membres sont impliqués dans le putsch de mai dernier et qu’ils auraient des liens avec les groupes rebelles. De ce fait, « le gouvernement va participer pour insister sur le principe de souveraineté et rappeler qu’on doit exclure impérativement tout fauteur de trouble de ce dialogue ». Echec et mat !
S’asseoir à la même table restait la seule solution pour désamorcer l’escalade de violences qui risquent désormais de se transformer en crise régionale. Plusieurs centaines de milliers de burundais ont déjà pris aujourd’hui le chemin de l’exil. Bon nombre d’entre eux se sont enfuis juste au-delà des frontières chez les Etats voisins (RDC, Tanzanie…). Non seulement l’afflux des réfugiés devient une charge supplémentaire pour des pays déjà fragilisés. Mais les groupes rebelles profitent généralement de la porosité des frontières pour se constituer une base arrière au-delà du territoire. En dehors de la Tanzanie (John Magufuli élu président de la République en octobre), aucun pays de la région ne peut se prévaloir d’une alternance démocratique. Tous ces chefs d’Etat sont des cumulards de mandat en puissance ; ce qui ne leur confère aucune légitimité pour faire infléchir la position de leur homologue Pierre Nkurunziza.
 

Burundi : L’ombre d’une guerre civile plane
L’Est de la République Démocratique du Congo est le maillon faible de la région des Grands Lacs. Son gouvernement et la MONUSCO ont décidé en 2014 de mettre hors d’état de nuire toutes les milices armées qui sévissent dans la région. Hors après avoir « traité » le M 23, les autorités congolaises et les casques bleus semblent hésiter à démanteler la Force Démocratique de Libération du Rwanda (FDLR) ; milice composée de hutus rwandais et ennemie jurée de Paul Kagamé. L’instabilité au Burundi pourrait favoriser le rapprochement entre les milices hutus Imbonerakure de Pierre Nkurunziza et les FDLR qui cherchent un plan de retrait de l’Est de la RDC. Ce que le président Paul Kagamé considérerait comme un casus belli.
Face à la crise burundaise, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies garde une posture mais ne réagit pas de manière ferme. Certes, quelques pays occidentaux ont sanctionné le régime de Pierre Nkurunziza en suspendant l’aide financière. Mais la communauté internationale n’a jamais mis au ban des Nations le Burundi. Les pays occidentaux ont trop d’intérêts et évitent d’intervenir dans la région des Grands Lacs. Il est donc du devoir de l’Afrique d’éviter un embrasement régional. Si le gouvernement burundais refuse le déploiement d’une force panafricaine, l’Afrique du Sud a toute la légitimité pour envoyer des troupes pour garantir la viabilité de l’accord d’Arusha. Signé sous l’égide de Nelson Mandela en 2000, la nation Arc-en-ciel avait dépêché un contingent militaire pour veiller à l’application de l’accord et assurer la sécurité des membres de l’opposition de retour d’exil.
 

Alex ZAKA
Paru dans le Diasporas-News n°70 Janvier 2016  

Burundi : L’ombre d’une guerre civile plane
Encadré : Rififi au sein du CNDD-FDD      
Le Conseil National pour la Défense de la Démocratie (CNDD) a été fondé par le hutu Léonard Nyangoma au tout début de la guerre civile de 1993-2005. Il s’agit d’une émanation du Front pour la Démocratie au Burundi (Frodebu). Il se dota dans la foulée d’une branche armée appelée Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD). Le président-fondateur de CNDD a été écarté en 1998 par le colonel Jean Bosco Ndayikengurukiye ; année du début des pourparlers d’Arusha mené par le président Julius Nyerere. Mais un homme de l’ombre est la vraie tête pensante de ce mouvement ; il s’agit d’Hussein Radjabu, Secrétaire Exécutif du CNDD. Dès les années 1996, il a remarqué le jeune Pierre Nkurunziza, charismatique, très dévoué et vrai combattant au sein de la rébellion ; il en a fait son protégé. En 2001, éjecté du bureau politique Hussein Radjabu réussit tout de même à sauver les meubles en obtenant la nomination de son poulain Pierre Nkurunziza pour se servir de lui comme cheval de Troie. Quelques mois plus tard, ce dernier prend en effet la tête du mouvement rebelle en tant que Coordinateur général du CNDD-FDD. Il plaça alors ses hommes essentiellement des hutus du Nord (exemple : commandant Adolphe Nshimirimana) en écartant les hutus du Sud menés par Jean Bosco Ndayikengurukiye.
C’est en tant que Coordinateur général que Pierre Nkurunziza signa les accords de cessez-le-feu en novembre 2003 à Dar-es-Salam. Tout naturellement, il prendra la présidence du parti lorsque celui-ci jeta ses oripeaux de mouvement rebelle ; tandis que son mentor Hussein Radjabu est nommé Secrétaire Général. Et Pierre Nkurunziza deviendra alors président de la République en 2005 par désignation, par le parlement. Il s’est ensuite débarrassé d’Hussein Radjabu en le jetant en prison en 2007. Et en mars 2015, ce dernier a pu « s’évader » de la prison de Mpimba de Bujumbura ; grâce certainement à la complicité de quelques hauts-fonctionnaires. La popularité du fugitif au sein du CNDD-FDD est un caillou dans la chaussure de l’actuel chef de l’Etat. Aux dernières nouvelles, il aurait pris la tête d’un groupe rebelle.
Pierre Nkurunziza règne sans partage sur le pays avec ses affidés ; des liens indéfectibles tissés dans le maquis. Il garde surtout la haute main sur la Police Nationale du Burundi (PNB). Mais le régime est aux abois. En décembre de l’année dernière, quelques généraux de l’ancienne rébellion FDD ont signé une pétition adressée au chef de l’Etat ; ils réclamèrent la tête de ses deux proches.
 - les généraux Adolphe Nshimirimana (assassiné en août 2015) et Alain Guillaume Bunyoni (actuel ministre de la Sécurité Publique) – soupçonnés de malversation et d’enrichissement personnel.
Les rivalités internes entre les anciens compagnons de lutte du CNDD-FDD se greffent aujourd’hui sur cette crise politique. Une oligarchie s’est formée autour des généraux fidèles au président Pierre Nkurunziza. Ils contrôlent l’économie du pays en plaçant des hommes de paille en façade. Les frondeurs ont rejoint la rébellion pour précipiter la chute du régime qui les a abandonné sur le bord de la route de la fortune !
ALEX  ZAKA

Paru dans le Diasporas-News n°70 Janvier 2016

 


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