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Dossier Madagascar : d’une crise à une autre

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Une affiche inédite pour les élections présidentielles de fin d’année : le président sortant Hery Rajaonarimampianina et ses deux prédécesseurs : Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina. La crise du 21 avril annonce-t-elle le début des grandes manœuvres des prochains mois ?
Dossier Madagascar : d’une crise à une autre
Samedi 21 avril, place du 13 mai en face de l’hôtel de ville d’Antananarivo : les députés des partis d’opposition et quelques centaines de partisans bravent l’interdiction de manifester, décrétée par le préfet de la ville. Les forces de l’ordre verrouillent une zone de 1 km² en plein de centre de la capitale malgache. Les deux parties se font face : l’une harangue, tente de forcer le barrage ; la pression monte. Ordre est donné de disperser la foule : gaz lacrymogène, matraque. En fin de matinée, on fait le bilan : deux morts et plusieurs dizaines de blessés.
 
S’agit-il d’un début de révolution comme cette fameuse Place en a été le témoin de nombreuses fois ? Déjà en 1972, une grève des étudiants, opportunément exploitée par des politiciens, avait emporté le régime du premier président de la Grande île indépendante, Philibert Tsiranana. La recette a été éprouvée plusieurs fois depuis cette date. Et curieusement, elle a l’air de fonctionner. L’amiral Didier Ratsiraka en fait les frais en 1991 ; le businessman Marc Ravolamanana également en 2009. L’actuel président de la République Hery Rajaonarimampianina [alias Rajao], élu pour un mandat de cinq ans en 2013, a qualifié cette manifestation de coup d’État. En effet, Depuis plus de 45 ans, la plupart des alternances et les changements de régime s’opèrent ainsi : trouver un prétexte de mécontentement (légitime ou pas), rassembler la foule et la convoquer Place du 13 mai, l’exciter et la galvaniser par des discours véhéments pendant plusieurs jours. Ensuite, attendre l’intervention des forces de l’ordre. Si celles-ci restent passives, le sit-in se transforme en marche vers le palais présidentiel. L’affrontement devient inévitable et le régime en place vacille en fonction du nombre de morts. Ce qui a sauvé le régime actuel le 21 avril dernier, c’est qu’on n’avait pas atteint la masse critique du nombre de morts. Cette fois-ci, la répression des brigades anti-émeute a été très mesurée. Quelques jours après les évènements, le ministre de la Défense et les généraux responsables du maintien de l’ordre ont fait un point de presse. Ils ont d’abord clamé leur neutralité et que de leur point de vue, les hommes politiques - de quelque bord qu’ils soient - doivent prendre leur responsabilité.

Marc Ravalomanana déjà dans les starting-blocks, condamné par contumace en 2010, considère que cet article vise à son élimination directe.

Même si le Premier ministre Olivier Mahafaly considère que l’adoption de cette loi est une « victoire de la démocratie », on peut tout de même émettre quelques réserves quant à ce vote à la hussarde de la majorité présidentielle du parti HVM (Force Nouvelle pour Madagascar). Comment ne pas douter lorsque les journalistes et les stations de radio non-affiliées à la majorité dénoncent une mise au vert dans un hôtel les députés godillots pendant le week-end précédant le vote ? Les députés de l’opposition ont saisi le Bureau Indépendant de la Lutte Anti-Corruption (BIANCO) sur une corruption  supposée : pour faire passer ces lois électorales, le HVM aurait d’une part essayé de débaucher quelques parlementaires de l’opposition ; d’autre part, tout simplement « payé » chaque élu de sa majorité : 50 millions Ariary (environ 12.000 €uros) c’est-à-dire l’équivalent de 30 ans de salaire minimum.
 

Quelle pourrait être la suite de cette crise ? 

Ces lois électorales doivent d’abord passer par la Chambre Haute avant son adoption définitive. Celle-ci est quasiment acquise dans la mesure où le HVM dispose d’une majorité confortable au Sénat. Seule la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), juridiction suprême, pourrait encore se prononcer sur la constitutionnalité ou pas de ce projet de loi. Mais il y a eu un précédent : en mai 2015, lorsque plus de 121 députés sur 151 ont signé une motion d’empêchement contre le président « Rajao » pour incompétence, non-respect de la séparation des pouvoirs (exécutif et législatif). Après trois semaines de délibération et d’intense pression gouvernementale, les hauts-magistrats de la HCC ont débouté les parlementaires sauvant ainsi la tête du président de la République. 

Si la crise actuelle est circonscrite au niveau du cercle politique, elle s’essoufflera et la Grande Île célèbrera dans l’allégresse la fête de l’indépendance du 26 juin. Par contre, si la société civile décide de manifester et que l’appel à la grève générale de toutes les forces vives de la Nation sera largement suivi, Madagascar risque d’être de nouveau paralysée pendant quelques mois. La contamination par une crise sociale n’est pas du tout à exclure. Lorsqu’on prend la température par l’écoute des gens dans la rue ou des radios qui ouvrent leur micro aux auditeurs, on ressent un ras-le-bol, une défiance envers la classe politique. Par certain côté, perce également un sentiment nationaliste : d’abord, par rapport aux tentatives de médiation de la SADC et de son émissaire l’ancien président mozambicain Joaquim Chissano ; ensuite, l’accaparement de la richesse nationale par les riches familles indo-pakistanaises présentes depuis plusieurs générations et les nouveaux migrants chinois.

Dossier Madagascar : d’une crise à une autre
Le bilan du président « Rajao »

Élu en 2013 par effraction, était-il prêt à diriger le pays ? Petit rappel historique : le président businessman Marc Ravalomanana a été victime d’un putsch organisé par un conglomérat d’intérêts (politique, pays étrangers…) en 2009. Le Dj Andry Rajoelina accéda au pouvoir que lui conteste la communauté internationale. A l’issue de quatre ans de tractations, de réconciliation nationale, de médiation internationale, une élection générale (présidentielle et législative) est enfin fixée en 2013. La candidature des deux principaux protagonistes - Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina – a été exclue par le fameux « Ni-Ni » dictée par la communauté internationale. En d’autres termes, si Madagascar veut une reconnaissance internationale - une des conditions de l’obtention des subventions internationales pour relancer son développement économique - elle doit se conformer aux exigences des médiateurs internationaux. C’est ainsi que le président Andry Rajoelina a choisi son ministre des Finances Hery Rajaonarimampianina comme candidat de substitution. Une fois élu, ce dernier a gentiment snobé celui qui lui a fait roi mais s’est empressé de rapatrier l’ancien président Marc Ravalomanana, en exil à Pretoria depuis sa chute en 2009. 

Le plan de relance de l’économie a dû attendre la Conférence des bailleurs et des investisseurs à Paris en décembre 2016. Trois longues années probatoires, de mise à l’épreuve de la nouvelle équipe quant à sa capacité à stabiliser politiquement le pays et à accueillir une conférence internationale c’est-à-dire le Sommet de la Francophonie en novembre 2016. 10 milliards $ de promesse d’aide sur quatre ans. Force est de constater que ce genre de tontine sert davantage au régime en place pour légitimer son pouvoir. Autrement dit, il permet de communiquer en diffusant des mots lénifiants comme «  voyez, chers concitoyens, notre capacité à trouver des financements internationaux ». Sauf que ses aides sont sujettes à des conditionnalités voire des intérêts à payer pour les générations futures. Qui plus est, structurellement l’économie des pays en voie de développement – Madagascar y compris – est incapable d’absorber autant de masse financière en un laps de temps. Pour mémoire, le plafond d’injection de l’économie malgache se situe à environ 1,5 milliards $ par an ; au-delà de ce chiffre, l’aide devient efficiente et génère plus de la corruption et autres gabegies.
Le président « Rajao » est-il responsable du marasme économique malgache ? Le chapeau qu’on veut lui faire porter est un peu large. Les indicateurs de développement (au sens des Nations-Unies) sont catastrophiques malgré une croissance économique de l’ordre de 4,5% par an. La classe politique dans son ensemble, et ce depuis plus 40 ans, doit répondre de cette dérive structurelle. Un pays avec un tel potentiel naturel (gisement offshore, minerais, pierres précieuses et d’autres matières premières, sites touristiques exceptionnels, des cadres bien formés…), où les gens – partout dans l’Île - commencent à travailler dès l’aube jusqu’au coucher du soleil, ne mérite pas un tel sort : moins de 1$ par jour de revenu pour plus de la moitié des 22 millions d’habitants ! Ras-le-bol général : de l’insécurité, de la coupure intempestive de l’électricité, du trafic de bois de rose, de la corruption à tous les étages, l’enrichissement éhonté d’une oligarchie. Et dans ce domaine, le président « Rajao » a sa part de responsabilité. Le népotisme et les affaires personnelles de l’entourage proche du chef de l’État sont souvent dénoncés par les médias malgaches. 

Le président « Rajao » est-il un dictateur ? Non ! Les ONG intervenant dans le cadre des droits de l’Homme pointent de temps en temps quelques dérives mais on peut considérer que la presse peut s’exprimer librement, contrairement au temps de  certains de ses prédécesseurs. Sauf que depuis quelques mois, le signal de connexion de quelques chaînes de télévision est coupé juste au moment les émissions ou les débats politiques sont programmés !
 

Dossier Madagascar : d’une crise à une autre
Épilogue  

Ainsi va la vie politique de ce pays. Les candidats recalés – Marc Ravalomana et Andry Rajoelina - par le « Ni-Ni » de 2013 se sont déjà déclarés pour les présidentielles de novembre prochain. Ennemis jurés depuis le coup d’État de 2009, ils ont fait cause commune le 21 avril dernier ! Ils étaient tous les deux présents avec leurs parlementaires ceints de leur écharpe tricolore. Quelques jours après la grande manifestation du 21 avril, une amorce de médiation - entre les leaders des partis d’opposition et le président du Sénat Rivo Rakotovao – initiée par les représentants de l’Union Africaine et la SADC sur place, s’est soldée par un échec. Les médiateurs internationaux, habitués aux crises politiques interminables de la Grande Île, ont cette fois-ci pris les devants. Une large part de l’agenda du Sommet de la SADC (Luanda) du 24 avril a évoqué les différentes crises des pays membres. Ont été inscrits sur l’agenda le Lesotho, la RDC et Madagascar. Le Secrétaire Général de l’ONU António Gutterres a dépêché son Conseiller spécial Abdoulaye Bathily à Antananarivo. La Secrétaire Générale de la Francophonie n’est pas en reste ; elle a débarqué le 29 avril dernier et ne fût accueilli à l’aéroport que par la Garde des Sceaux (4ème rang protocolaire du gouvernement). Michaelle Jean a appelé « au calme et au dialogue pour des élections sans faille ». Échaudés par les médiations internationales de la dernière crise politique, les malgaches privilégient désormais un dialogue malgacho-malgache sous l’égide de la Conseil Œcuménique des Églises Chrétiennes de Madagascar (FFKM). Le contraste est saisissant entre l’effervescence internationale, l’écho de la place du 13 mai dans les médias internationaux et la situation qui prévaut sur place. La crise est circonscrite dans un périmètre de 1 km². Et la population de la capitale Antananarivo vaque à ses occupations quotidiennes.
 
Alex ZAKA
(Envoyé Spécial à Madagascar) 
Paru dans le Diasporas-News n°96 de Mai 2018


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