S.E.M le président de la République Hery Rajaonarimampianina et la Secrétaire Générale de l’OIF Michaëlle Jean jubilent. Le XVIème Sommet des chefs d’Etat de la Francophonie fut un succès. Le peuple malgache devrait être fier d’avoir accueilli une délégation d’environ 3.000 participants, venus de plus de 80 pays différents. Même si quelques détracteurs ou autre esprit chagrin jugent que l’organisation de ce genre de sauterie était-elle vraiment indispensable compte tenu de la situation socioéconomique du pays ? Les autorités malgaches ont dû subir les mêmes critiques récurrentes à l’approche de grands évènements mondiaux tels que les olympiades : livraison à temps ou non des chantiers, dépenses exorbitantes pour la construction d’infrastructures, capacité d’accueil hôtelière…
Le succès d’un Sommet se juge-t-il également à l’aune du nombre de chefs d’Etat présents ? Antananarivo n’aurait obtenu que la participation de 20 présidents et chefs de gouvernement alors qu’à Dakar en 2014, son SEM Macky Sall a reçu une quarantaine de ses homologues. Circonstance exceptionnelle Il y a deux ans, c’était l’adieu d’Abdou Diouf - après trois mandats successifs - auquel s’ajoutaient les tractations en coulisses pour l’élection houleuse de son successeur. L’absence du président congolais Sassou Nguesso à Madagascar n’est-elle pas motivée par son départ précipité du Centre international de conférence de Diamniado lorsque son poulain Henri Lopes s’est fait éliminé ? Pour l’équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang et le camerounais Paul Biya, les causes de fâcherie avec la France ne manquent pas : entre autres, les poursuites judiciaires sur les biens mal acquis ainsi que leur longévité sur le trône. Et le président de la RDC ? Trop occupé sans doute par la formation de son gouvernement d’union nationale à la suite du dialogue et du « glissement » de calendrier électoral ? A part l’ivoirien Allasane Outtara, absent pour des raisons familiales et le malien Ibrahim Boubarcar Keita souffrant, le guinéen Alpha Condé, le béninois Patrice Talon et le togolais Faure Gnassimbé avaient-ils un agenda très chargé ? Mention spéciale à sa majesté Mohamed VI du Maroc qui séjournait sur la terre d’exil de ses aïeux pendant toute une semaine avant de quitter la Grande Ile en catimini le jour du début du Sommet ; lui qui avait expressément demandé de décaler ce Sommet pour cause de COP 22 à Marrakech, en vue de sa participation aux deux évènements internationaux. Pourtant le Maroc n’est pas venu faire de la figuration avec une suite royale de 500 personnes et en occupant 22 stands du village « Voara » de la Francophonie. Les désagréments de son cortège dans les artères congestionnées de la capitale malgache et l’expropriation d’une centaine de personnes sur le lieu prévu pour la construction d’un hôpital et d’une école financée par sa fondation auraient pu servir de prétexte pour ce départ anticipé. Mais l’affront diplomatique éprouvé par le royaume chérifien lors de la 4ème édition du Sommet arabo-africain de Malabo – quelques jours plus tôt – justifie amplement sa politique de chaise vide. La présence de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) en Guinée-Equatoriale ainsi celle du ministre algérien des Affaires Etrangères Ramtane Lamamra à Antananarivo sont les véritables raisons de ce retour précipité.
Pour la puissante invitante, le président Hery Rajaonarimampianina, ce Sommet marque le retour de Madagascar sur la scène internationale après la période d’instabilité politique de 2009 à 2013. D’ailleurs ses deux prédécesseurs Marc Ravalomanana et son tombeur Andry Rajaoelina ont discrètement honoré de leur présence la cérémonie d’ouverture. Dans la foulée, la Grande Ile transforma l’essai au siège de l’UNESCO à Paris. La semaine suivante, elle a obtenu 6,6 milliards $ de promesse de financement pour son développement, lors de la Conférence des Bailleurs de fonds et des Investisseurs.
Les discours du président sénégalais Macky Sall et du tchadien Idriss Déby sont directement allés au cœur des malgaches. Les deux chefs d’Etat n’ont pas manqué de citer leurs illustres compatriotes : l’écrivain Jean-Joseph Rabearivelo (1901-1937), le poète Jacques Rabemananjara (1913-2005), le journaliste Sennen Andriamirado (1945-1997) et l’écrivaine contemporaine Michelle Rakotoson. Quant au président français François Hollande, toujours dans la figure de style qu’il affectionne c’est-à-dire l’anaphore, a insisté sur les solidarités de notre organisation : pour sauver le français, contre le dérèglement climatique, en matière de santé, pour faire face au terrorisme. Et de rappeler que la Francophonie est avant tout « une force » c’est-à-dire une communauté humaine de 250 millions d’habitants ; ensuite une « volonté » d’ouverture, de développement, de culture mais encore une chance et enfin « une promesse qui sera tenue ». L’attitude du sémillant premier ministre canadien Justin Trudeau a dépoussiéré ce cénacle un peu guindé. Dès la fin de la photo de famille, il a applaudi ; geste bientôt suivi par la plupart de ses homologues. Le « Trudeau show » continua lors du discours d’ouverture. Il a d’abord passé la pommade en soulignant le « rôle central des pays d’Afrique au sein de la Francophonie » et la fiabilité du partenariat de son pays dans la lutte contre la pollution et le changement climatique. Le Canada, un des principaux contributeurs de la Francophonie défend également le droit des minorités – des femmes et des filles - et surtout des LGBT (Lesbien, Gai, Bi et Transsexuel) ; réaction médusée des chefs d’Etat africains face à une telle outrecuidance ou cette sincérité de ton.
La Secrétaire Générale de l’OIF Michaëlle Jean fut la dernière à prendre la parole. Elle a tenu à féliciter les autorités et le peuple malgaches pour la tenue de ce XVIème Sommet. Un des passages de son discours fustige l’attitude, face à un monde en désarroi, « des pays qui se barricadent derrière des murs dérisoires… ; de la tentation du repli sur soi et du rejet de l’autre ». Elle pointe également l’un des plus grands scandales de notre époque : « ces dizaines de millions de jeunes au chômage ou vivant sous le seuil de pauvreté » qui, à plus ou moins brève échéance, deviendra un risque majeur pour la sécurité et la stabilité du monde. La grande famille de la Francophonie, solidaire, de par sa culture, ses institutions, ses réseaux, peut être une réponse à cette menace contre la paix. Quant à la mise en œuvre de la stratégie économique impulsée à Dakar en 2014, elle pose la question aux chefs d’Etat : quelle Francophonie voulons-nous ? Il importe que vous nous donniez les moyens de nos ambitions. Cette interpellation a d’ailleurs été relayée par une vingtaine de jeunes francophones des cinq continents. Ils ont d’abord montés une saynète avant de danser avec madame Michaëlle Jean à la fin de la cérémonie d’ouverture.
Outre la feuille de route économique que les chefs d’Etat ont confié - à Dakar en 2014 - à la Secrétaire Générale de l’OIF, chaque Sommet apporte son lot de résolutions ; et 13 de plus ont été adoptées, lors de la déclaration finale de fin du Sommet d’Antananarivo : la lutte contre la menace terroriste, l’autonomisation des femmes et des filles en passant par l’énergie propre pour tous en Afrique et l’économie bleue (la mer et les océans)… Bref, la mise en œuvre de ce catalogue de propositions requiert l’effort de chaque membre. Sinon, la famille s’est élargie avec quatre nouveaux membres observateurs : la Corée du Sud, l’Argentine, la province canadienne de l’Ontario, la Nouvelle-Calédonie. Malgré le plaidoyer de nombreux pays africains, la candidature de l’Arabie Saoudite a été recalée pour cause de dossier « incomplet » mais vraisemblablement par le non-respect des droits de l’homme et d’égalité homme-femme. Un revers diplomatique pour la monarchie saoudienne alors que le Qatar – membre de l’OIF depuis 2012 – en a profité pour régler enfin ses arriérés de cotisation d’un montant de 3,3 millions €uros ; un signal fort mais aussi une marque de solidarité pour la Francophonie !
Clap de fin pour le XVIème Sommet de la Francophonie d’Antananarivo. Rendez-vous en 2018 à Erevan (Arménie). Les deux instances dirigeantes de l’OIF s’y sont déjà réunies en octobre 2015 : le Conseil Permanent, et la 31ème session de la Conférence Ministérielle. Le ministre des Affaires étrangères arménien Edouard Nalbandian n’avait qu’à demander la tenue de la conférence du troisième organe de l’OIF : le
Sommet des chefs d’Etat. Dont acte ! La Tunisie devra encore patienter jusqu’en 2020 pour la tenue du XVIIIème Sommet de la Francophonie ; un agenda qui coïncidera avec les 50èmes anniversaire de la Francophonie. Et qui plus est, sur la terre d’Habib Bourguiba, l’un de ses pères fondateurs.
Coura SENE
Envoyée spéciale à Antananarivo
Paru dans le Diasporas-News n°80 de Décembre 2016